Dans nos métiers — de l’hôpital à la crèche, de l’insertion sociale à la maison de repos — nous avons un superpouvoir : faire travailler ensemble des personnes qui ne pensent pas pareil et pourtant, assurer un encadrement de qualité — voire sauver des vies — au quotidien. Autrement dit, le désaccord ne nous fait pas peur. Pourtant, la tentation est grande, partout, d’aller plus vite que la réflexion : on hausse le ton, on “cancel”. À force, la nuance devient suspecte, l’argument passe pour une provocation, et la contradiction ressemble à une agression.

Je plaide pour autre chose : la culture du débat utile. Utile parce qu’elle sert le bien commun, pas l’ego ; parce qu’elle protège le droit à la différence sans fabriquer des camps retranchés ; parce qu’elle met de côté l’intimidation, l’humiliation et la violence — verbale, numérique ou physique — au profit d’un dialogue respectueux. Remettons la nuance au centre du village — oui, même si c’est un village avec trois bourgmestres, quatre niveaux de pouvoir et un rond-point surréaliste.  

À 3 heures du matin, autour d’un patient fragile, personne ne crie pour avoir raison. On écoute, on partage, on s’ajuste. Si nous savons le faire en situation critique, nous devrions y arriver à 15 heures, café en main, avec une gaufre (de Liège bien sûr), pour parler égalité, droit à la différence, éducation aux sexualités, vivre-ensemble et bien commun. Spoiler : personne n’a jamais changé d’avis parce que l’autre avait écrit en majuscules.

le vivre-ensemble ne s’améliore pas avec des slogans jetables. Il grandit à l’ombre de quatre principes simples :

  1. la présomption de bonne foi : je pars du principe que l’autre n’est pas mon ennemi, mais mon partenaire temporaire de recherche de vérité ;
  2. l’écoute active : écouter pour comprendre l’autre, intégrer ses motivations, aller à la rencontre de ses besoins non rencontrés et avoir la volonté de s’accorder ;
  3. l’égalité de dignité : le statut ne confère pas plus de droits à la parole, seulement plus de devoirs d’exemplarité ;
  4. le courage de la nuance : accepter que “et” vaut souvent mieux que “ou”, que la réalité résiste aux raccourcis et que ce monde n’est ni blanc, ni noir, il est une kirielle de nuance de gris, bien au-delà des cinquante.

Ministres, managers, collaborateurs, bénévoles : nous pouvons tous montrer l’exemple. Interrompre poliment les débordements, rappeler les règles, protéger les voix minoritaires (la majorité n’a pas toujours raison ; elle a juste plus de décibels) et modérer nos propres certitudes. Ce n’est pas du confort, c’est de l’hygiène relationnelle. Dans nos secteurs où la vulnérabilité est quotidienne, la sécurité psychologique n’est pas un luxe ; c’est une condition de qualité.

Évitons les arènes qui excitent plus qu’elles n’éclairent : Sur les réseaux, l’algorithme adore l’indignation. Saviez-vous que certains algorithmes renforcent les publications qui incluent l’émoticône « 😠 »? A UNESSA, nous préférons les preuves et la nuance : citer une source, vérifier un chiffre, illustrer par un exemple concret. Vous verrez : cela coupe la clim de la colère et rallume le chauffage des idées.

Je rêve que notre fédération devienne un “tiers-lieu” de débat : on y vient avec des convictions, on en repart avec des questions mieux formulées. Ce serait déjà énorme. Une société qui sait “disputatio” sans se déchirer tient debout, y compris dans les tempêtes. Notre pays, multilingue et multi-niveaux, a tout pour devenir champion d’Europe de la conversation constructive — bien plus utile que d’additionner des polémiques. Quand tout le monde s’écoute, on gagne du temps sur les mauvaises décisions prises à la va-vite. Et enfin, oui, on a le droit de changer d’avis en cours de route : c’est un signe de santé mentale, pas une trahison.
Alors, essayons une petite expérience collective : lors de notre prochaine réunion, choisissons un sujet qui fâche… et fâchons-nous bien, c’est-à-dire avec méthode, respect, écoute et un brin d’autodérision. Si nous y parvenons, nous aurons fait plus qu’éviter un énième clash : nous aurons rappelé que la démocratie n’est pas un sport de combat, mais une discipline d’endurance, où l’on gagne ensemble — parfois en admettant que l’autre marque un point.  

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